surville signatureQuand j'ai envie de faire de la généalogie avec une grosse flemme de paléographie, je creuse du côté des collatéraux urbains, pour ne pas dire parisiens, au XIXe siècle. Parfois, je déniche de très chouettes choses, voire quelques VIP !

C'est ainsi qu'un dimanche gris d'hiver 2024, j'ai tenté de glâner quelques informations sur le couple Cyr Christophe LECLERC (....-1834, Paris) et Marie Jeanne LEFRANC (1770-1840), mariés à Breteuil (Oise) en 1791, décédés à Paris. Je descends de leur fille Marie Jeanne Honorine LECLERC (1792, Breteuil -....), mais leur fils Charles (1807, Breteuil-....) m'a jusqu'à présent plus aidé pour dénicher la famille. C'est grâce à son mariage que j'ai pu trouver une mention de décès du père à Paris en 1834. L'acte de décès n'a pas été reconstitué (contrairement à celui de son épouse, morte en 1840).

 

Charles Christophe LECLERC est donc né à Breteuil 15 ans après sa soeur (mon aïeule). Devenu gendarme, il voyage un peu... et se marie en dehors de Paris (pour mon plus grand bonheur) : direction Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), où il épouse en 1836 Joséphine HESNARD. Une première fille, Honorine, naît en 1837, suivie de Joséphine en 1840. La famille est domiciliée à Chantenay (banlieue de Nantes) en 1857. Honorine, alors domestique, y donne naissance à Clémentine (fille naturelle). En février 1870, c'est la benjamine Joséphine qui se marie à Paris. Les parents Charles LECLERC et Joséphine HESNARD sont dits domiciliés à Guignes-Rabutin (Seine-et-Marne). En 1872, ils sont de nouveau domiliciés à Bain-de-Bretagne, avec une dénommée Lorantine ELIARD, 7 ans, native de Paris. Je perds alors leurs traces : jusqu'à présent, je n'ai pas trouvé leurs décès à Bain-de-Bretagne, Paris ou en Île-de-France, ou de mention postérieure dans les recensements.

 

Généalogie de la famille Leclerc x Hesnard

Revenons à leur seconde fille, Joséphine LECLERC, 30 ans, rentière, qui se marie donc à la mairie du 19e arrondissement de Paris le 24 février 1870 avec un certain Victor Laurent ESLIARD, 62 ans, également rentier. Chercher l'acte d'un mariage qui s'est déroulé dans la mairie jusqu'à côté de chez moi est toujours plaisant. J'ai continué de sourire en voyant que les deux époux sont alors domiciliés 33 boulevard Sérurier, soit quasi en face des actuelles Archives de Paris. Mon sourire s'est un peu figé quand j'ai lu le nom des témoins : Jean Baptiste Camille COROT, artiste peintre, officier de la Légion d'honneur ; Pierre Edouard FRERE, artiste peintre, chevalier de la Légion d'honneur ; tous deux amis de l'époux. Rien que ça...

commons tombe esliard survilleForcément ça donne envie de creuser un peu plus sur le vieil époux.

En quelques recherches rapides en ligne, je me suis retrouvée avec :

 

Voici quelques éléments - fils de la pelote déroulée (pas forcément dans l'ordre, mais tout est tellement mêlé...)

  • Surville l'acteur

Surville est sur les planches dans les années 1830, d'abord au Théâtre de Montmartre, puis dans la troupe du Théâtre des Variétés (1835), au Théâtre de la Porte Saint-Martin (1836-1839), au Théâtre de la Gaîté (1840-1860) et à l'Ambigu. Il tient les premiers rôles, et donne la réplique à Etienne Mélingue (dont une rue non loin de chez moi porte le nom), Mademoiselle Georges ("tragédienne qui a jeté le plus vif éclat sur la scène française" d'après d'illustres auteurs contemporains), Lockroy ou encore Laurencin. La bibliothèque nationale de France recense dans son catalogue 18 pièces (essentiellement des drames) dans lesquelles il joue (voir la liste en fin d'article). Sans compter celles de l'Ambigu, et toutes celles que je sais d'expérience mentionnées dans la presse théâtrale quand on sait y fouiner. Un long article-portrait lui est consacré en 1854 dans L'Europe artiste (repris par Le Nouvelliste).

"M. Surville a lontemps rempli [...] le rôle des traîtres habiles à concevoir et à exécuter les actions criminelles qui se dénouent au cinquième acte par un châtiment judiciaire ou violent. [...] Il importe qu'il se rencontre des artistes qui puissent et qui sachent les interpréter avec succès. Or, c'est ce qui est arrivé avec M. Surville."

Ch. Desolme, L'Europe artiste, repris dans Le Nouvelliste

S'il a le droit à 3 lignes dans un supplément du 17e tome du Larousse, le Dictionnaire des comédiens français, ceux d'hier : biographie, bibliographie, iconographie, de Lyonnet, est un peu plus dissert.

Membre de la société des artistes dramatiques à partir de 1840, il en est le vice-président pendant plusieurs années. A la mort de l'acteur en 1883, sa veuve Joséphine Leclerc fait un don de 8000 francs à l'Association des artistes dramatiques (société de secours mutuels). Puis dans son propre testament en 1915, elle lègue (entre autres) "en souvenir de [son] mari à la Société des artistes dramatiques, une somme de 40 000 francs à employer à la fondation de lits pour leur maison de retraite. Ce legs portera le nom de fondation Surville", ainsi que le portrait de Surville peint par Henriette Browne (a priori publié dans L'Art en 1877).

 

  • survillePortrait de Surville dédicacé

Qui dit acteur "connu", dit portrait... C'est sur Ebay qu'est apparu Victor, dans le rôle de Richard Sidney (pièce La Folle de la cité en 1843). Le document n'est plus disponible à la vente, mais les photos de détail (gratuites) me suffisent amplement :

  • L'auteur est Victor Dollet, peintre, graveur et lithographe spécialisé dans le milieu du théâtre (voir des oeuvres sur Gallica) ;
  • La gravure est dédicacée de la main de l'auteur : "à ma nièce Honorine Leclerc / souvenir d'amitié / Surville". Parmi les trois traces de portrait de Surville sur Internet, l'une est dédicacée à la famille qui m'intéresse ! Les deux autres images de Surville sont une caricature (sur Gallica) et l'acteur en costume de Jules de Vaudray dans Rita l'espagnole (INHA).

Revenons-en à Honorine Leclerc, 6 ans en 1843, qui a le droit à une image Panini de son "oncle" acteur. Il y a donc un lien de parenté entre Esliard et la famille !

 

  • Surville le collatéral (plusieurs fois)

Victor Laurent ESLIARD, dit SURVILLE, est né à Paris le 19 juillet 1808, de Guillaume Théodore ESLIARD (mort le 1er avril 1829 à Paris) et Henriette Raphaëlle LEFRANC (14 avril 1765, Villers-Vicomte - 2 juillet 1836, Paris). LEFRANC ou LECLERC sont des noms certes courants, mais il s'agit bien des "miens" (voir l'arbre généalogique au-dessus). Henriette LEFRANC est l'une des soeurs aînées de Marie Jeanne LEFRANC, mère de Charles LECLERC (le gendarme, père d'Honorine, celle qui a le portrait d'acteur dédicacé). Oncle, fille du cousin germain, c'est presque pareil...

Mais ce n'est pas le seul lien de parenté entre les LECLERC x LEFRANC et SURVILLE !

L'acteur est apparu dans ma généalogie par le biais de son mariage avec Joséphine LECLERC (fille du gendarme, et donc soeur d'Honorine-et-son-portrait-dédicacé). Elle a tout juste 30 ans, lui 62... Il s'agit a priori de leur premier mariage à tous les deux. Disons-le franchement, le mariage est sans doute un peu précipité : il a lieu le 24 février à la mairie du 19e arrondissement, tout juste 6 mois avant que Victoire pointe le bout de son nez. En plein été 1870 et le début de la guerre de 1870, peut-être ont-ils choisi un prénom en guise de bon présage, mais non. Une autre fille, Rosalie, naîtra en 1872, toujours boulevard Sérurier.

Il reste une Eliard non identifiée dans la famille : Lorantine ELIARD, 7 ans, native de Paris, qui réside d'après le recensement de population avec Charles LECLERC et Marie Jeanne LEFRANC à Bain-de-Bretagne en 1872. Outre le patronyme peu courant (ESLIARD ou ELIARD), Lorantine est un prénom dérivé de Laurent, 2e prénom de l'acteur SURVILLE. Jusqu'à présent rien ne sort dans les bases et registres indexés en ligne si ce n'est ce recensement de 1872. Rien à Paris côté naissance...

[Mise à jour de dernière minute : rédiger ce billet qui traînait en mode brouillon / notes rapides depuis 7 mois a du bon. Une dernière recherche, avec une variante sur "Laurentine", fait apparaître un relevé de table de successions et absences sur Geneanet : Laurentine Esliard (sic) est décédée à Gosné (Ille-et-Vilaine) en 1881. Petite erreur d'indexation signalée : c'est à Goven que Laurentine ESLIARD dite SURVILLE, 15 ans, fille de Victor Laurent ESLIARD dit SURVILLE et Joséphine LECLERC, s'éteint, au domicile de ses grands-parents. La boucle est presque bouclée : reste à dénicher son acte de naissance - hors mariage donc normalement sous le nom de sa mère - confirmé par cette nouvelle source à Paris dans le 19e]

 

  • Surville peintre et collectionneur d'art

437px Jean Baptiste Camille Corot autoportraitDans son acte de décès, Victor ESLIARD dit SURVILLE n'est mentionné que comme peintre... Peintre je ne sais, mais introduit dans le milieu artistique, c'est sûr. Comme mentionné plus haut, Camille Corot et Pierre-Edouard Frère sont témoins à son mariage en 1870.

437px Jean Baptiste Camille Corot autoportrait

En 1856, il vend aux enchères une partie de sa collection d'art. Le catalogue de la vente est numérisé sur Gallica. Parmi les oeuvres, on en compte une de Camille Corot (Le Matin), deux d'Eugène Delacroix (Maréchal ferrant au Maroc - (celui-ci ?) - et Olinde et Sophronie), huit de Diaz (de la Peña), trois d'Alfred de Dreux, huit des frères Pierre-Edouard Frère et Charles-Théodore Frère, cinq de Théodore Rousseau (considéré comme le fondateur de l'école de Barbizon) ou encore trois d'Octave Tassaert.

 

  • Traces éparses

Parmi mes recherches de Victor ESLIARD dit SURVILLE tous azimuts, je l'ai également retrouvé :

  • au milieu des membres créateurs de la société anonyme d'assurances contre les risques de navigation maritime et intérieur, sous la dénomination L'Océanie en 1846 (archive.org) ;
  • comme souscripteur de 40 francs en faveur des écoles libres en 1882 (Le Figaro, 31 mai 1882).

 

Sources et références principales

 

Nota : l'essentiel de ces découvertes généalogiques ont été faites en février 2024, et listées brièvement en mode brouillon jusqu'en septembre 2024, où ce billet fleuve qui aurait pu être divisé en plusieurs épisodes, a enfin été rédigé, malgré les risques de mises à jour au gré de nouvelles trouvailles. Sans compter l'article Wikipédia sur le bonhomme qu'il faudrait rédiger... en attendant, son élément Wikidata est tout à fait correct.]

 

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Surville l'acteur (annexe, d'après le catalogue de la BNF)

1835 : Madelon-Friquet, vaudeville en 2 actes de Balisson de Rougemont et Charles Dupeuty : Surville tient le rôle de Laperrier (Théâtre des Variétés)

1836 : Le riche et le pauvre, drame en 5 actes d'Emile Souvestre : Surville tient le rôle d'Arthur Séran (Théâtre de la Porte Saint-Martin)

1836 : Les sept infans de Lara, drame en 6 actes de Félicien Mallefille : Surville tient le rôle de Don Pasiello ((Théâtre de la Porte Saint-Martin)

1837 : La guerre des servantes, drame en 5 actes de Théaulon de Lambert, Alboize et Harel : Surville tient le rôle de Ludger (Théâtre de la Porte Saint-Martin)

1837 : Le portefeuille ou Deux familles, drame en 5 actes d'Anicet-Bourgeois et Dennery : Surville tient le rôle d'Ernest Lemire (Théâtre de la Porte Saint-Martin)

1837 : Rita l'espagnole, drame en 4 actes de Charles Desnoyers, Boulé et Chabot de Bouin : Surville toe,t le rôle de Jules de Vaudray (Théâtre de la Porte Saint-Martin)

1838 : Mateo ou Les deux florentins, mélodrame en 5 actes de Laurencin : Surville tient le rôle de Jualini (Théâtre de la Porte Saint-Martin)

1838 : Peau d'âne, féerie en 9 tableaux d'Emile Vanderbuch et d'Evrard Laurencin : Surville tient le rôle de Don Fernand (Théâtre de la Porte Saint-Martin)

1839 : Le pacte de famine, drame historique en 5 actes de Paul Foucher et Elie Berthet : Surville tient le rôle de Jules de Beaumont (Théâtre de la Porte Saint-Martin)

1840 : Edith ou La veuve de Southampton, drame en 4 actes d'Antony Béraud et Alphonse Brot : Surville tient le rôle de Georges Buttler (Théâtre de la Gaîté)

1840 : Ralph le bandit ou Les souterrains de Saint Norbert, mélodrame en 5 actes de texte de Charles Desnoyer : Surville tient le rôle de Rodolphe de Rhinfeld (Théâtre de la Gaîté)

1841 : La grâce de Dieu ou La nouvelle Fanchon, drame vaudeville en 5 actes d'Adolphe Dennery et Gustave Lemoine : Surville tient le rôle d'André (Théâtre de la Gaîté)

1843 : La folle de la cité, drame en 5 actes de Charles Lafont : Surville tient le rôle de Richard Sidney (Théâtre de la Gaîté)

1843 : Un mauvais père, drame en 3 actes de Lubize, et Lajariette : Surville tient le rôle de Marcel Henriot (Théâtre de la Gaîté)

1847 : Martin et Bamboche ou Les amis d'enfance, drame en 5 actes d'Eugène Sue : Surville tient le rôle de Claude Gérard (Théâtre de la Gaîté)

1850 : Paillasse, drame en 5 actes d'Adolphe Dennery et Marc Fournier : Surville tient le rôle du chevalier de Rollac (Théâtre de la Gaîté)

1856 : Les zouaves, drame en 5 actes d'Alphonse Arnault : Surville tient le rôle de de Bruckine (Théâtre de la Gaîté)

1860 : Les aventuriers, drame en 5 actes de Victor Séjour : Surville tient le rôle de Gaston de Torelli (Théâtre de la Gaîté)

 

 

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