"Nos enfants connaîtront-ils seulement leur père"... Comme tant d'autres du village. Peut-être la pensée l'a-t-elle effleurée lorsqu'elle lui a dit oui. Elle le connaissait depuis toute petite. Locmiquélic, tout le monde se connaît, même si passés 10 ans, les garçons ont plus souvent les pieds sur un pont que sur la terre. Lui revenait tout juste des Amériques en guerre. Parti matelot, revenu gabier. Entre 1776 et 1783, il n'a passé que 14 mois à terre, et les années précédentes sont du même acabit. 33 ans : quatre voyages aux Indes orientales et deux campagnes royales, dont l'une aux Amériques (juin 1779-janvier 1781).

 

Les combattants français de la guerre américaine, 1778-1783 : listes établies d
Les combattants français de la guerre américaine, 1778-1783 : listes établies d'après les documents authentiques déposés aux Archives Nationales et aux Archives du Ministère de la guerre / publiées par les soins du Ministère des affaires étrangères ; [avec une introduction par Henri Mérou] - Source: gallica.bnf.fr

 

 

Cinq ans de recherches (non intensives, naturellement) pour dépasser l'énigmatique "fille majeure et légitime de feu Jacques Clément décédé en mer" qui figure sur l'acte de mariage de Marie Clément en 1806. Les registres de Riantec ont été écumés à la recherche d'un mariage antérieur à la naissance de la petite Marie (29 mai 1782), de frères ou de soeurs, de la mention d'un décès ou d'un remariage de Marie Jeanne Le Marec. En vain. Clément n'est pas un patronyme très répandu à Riantec, il n'aurait pas pu m'échapper. La clé était le Service historique de la Défense de Lorient et l'inscription maritime.

Parmi les marins ne figurait à cette époque qu'un seul et unique Jacques Clément, originaire de Locmiquélic, paroisse de Riantec. Même époque, même paroisse, même métier, 29 ans, taille moyenne, châtain, fils d'Alain et de Marie Lesquer. Seul l'acte de mariage manquait comme ultime confirmation qu'il s'agissait bien du mien. Jacques Clément n'est présent à terre qu'entre janvier et novembre 1781, ce qui réduit la fenêtre des possibles... Rien à Riantec, alors que les deux époux sont originaires de la paroisse et du même village. Où alors ? J'ai déjà eu le cas d'un marin bigouden qui a épousé à Brest une fille de la presqu'île de Crozon... Soit un mariage relativement éloigné de leurs domiciles respectifs. Jacques Clément est marin au service du roi ; les navires sont armés à Brest pour l'Amérique en guerre (même si ça fait loin), ou à Lorient... Recherches toujours vaines. Ultime tentative : Port-Louis, siège de la Compagnie des Indes, port de course, paroisse coincée entre la mer et Riantec... Le flair était le bon : le 9 juillet 1781, Jacques Clément épouse Marie Jeanne Le Marec.

Leur fille Marie naît le 29 mai 1782. L'a-t-il jamais su ? Son père était reparti en mer depuis sept mois déjà.

Le microfilm était parfois peu lisible, mais suffisamment pour déchiffrer les épisodes annotés pour les derniers mois du marin. 1782 : janvier, il est à l'Île-de-France (Maurice) ; 1783 : le 24 décembre, il meurt à bord de L'Annibal... Les circonstances exactes sont à éclaircir un peu plus. Néanmoins il est fort probable que Jacques Clément ait rejoint en 1782 l'escadre du bailli de Suffren, qu'il ait participé à la bataille de Gondelour du 20 juin 1783 (Inde, au dessus de Pondichéry), voire à la prise de Trinquemalay fin août-début septembre 1782 (Ceylan), et qu'il soit mort sur le chemin du retour. En décembre 1783, L'Annibal mouille à Table Bay (Le Cap, Afrique du Sud).

Bataille de Gondelour, 20 juin 1783, par A. Jugelet (Wikimedia)

Sources et liens

 

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