Les Archives nationales ont récemment mis en ligne le dépouillement d'une table alphabétique du greffe criminel du Parlement de Paris (chambre criminelle, dite la Tournelle). Cet inventaire reprend les données d'un registre établi à la fin du XVIIIe siècle, mais qui couvre le période 1699-1725 (la suite est en cours). Pour en savoir plus sur cet instrument de recherche, je vous invite à lire l'introduction de l'inventaire mis en ligne en Salle des inventaires virtuelle, et surtout son annexe. Ce formidable outil permet d'avoir des clés d'accès aux plumitifs de la Tournelle (dernier interrogatoire...) et aux arrêts criminels.
Qui dit inventaire nominatif, dit intérêt pour le généalogiste. Et ce n'est pas parce qu'il s'agit du Parlement de Paris que cela concerne uniquement Paris, voire l'Ile-de-France : en effet, c'est une cour qui juge en appel des juridictions d'un vaste territoire. L'inventaire sériel et plutôt normalisé m'a donné envie de faire quelques visualisations graphiques pour l'appréhender autrement que par ordre purement alphabétique.
Au fait, pourquoi Bebel ?! J'ai parcouru ce nouvel inventaire lors de sa mise en ligne, sans vraiment chercher de noms, mais en regardant le contenu des notices, les peines (qui font froid dans le dos). Très vite, je suis tombée sur un motif de jugement qui m'a interpelée : "complice de Cartouche". Puis un autre... au total, 298 personnes jugées comme complices du célèbre brigand entre 1722 et 1723 essentiellement !
Le jeu de données de 8772 individus, nettoyé et enrichi, est librement téléchargeable (licence CC BY-SA).
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Les condamné.e.s
Quel profil pour les condamné.e.s ? Les 8772 personnes ont été genrées, en se basant sur les prénoms, l'information veuve / femme, le féminin éventuel des peines et les métiers. Restent 171 personnes (notamment des Marie ou des Anne) dont les informations n'étaient pas suffisantes pour trancher (aïe, mot à bannir quand on parle de justice criminelle sous l'Ancien Régime).
Verdict : un peu plus de 22% de femmes. Une forte proportion d'hommes jugés a entre 20 et 40 ans, tandis que les femmes ont plutôt la vingtaine. Il n'y a pas d'âge pour passer devant le tribunal : 155 prévenus ont moins de 15 ans (6 ont 10 ans...), surtout pour des affaires de vol. Ils sont fouettés, bannis pour la plupart, voire marqués au fer (26) ou pendus (3).
Une carte ci-dessous permet d'avoir une idée de l'origine géographique des condamné.e.s (à rapprocher du ressort géographique du Parlement de Paris ; voir à ce sujet la notice producteur des Archives nationales). Du moins d'une partie. C'est la visualisation la moins satisfaisante : les risques d'homonymie ou les approximations font que seuls 4315 lignes ont été géolocalisées, ce qui représente tout de même la moitié des données. Notons qu'il y a des gens de la cour [de Versailles] !
Répartition entre femmes et hommes
Pyramide des âges des condamnées
Pyramide des âges des condamnés
Origine géographique des comparant.e.s
Crimes, peines et châtiments
En regardant la répartition des arrêts dans le temps, on relève quelques pics d'activité :
- le 26 novembre 1721 : 36 personnes jugées, dont 33 liées à Cartouche ;
- le 18 février 1700 : 26 personnes jugées, dont 24 liées à une affaire d'évasion de "religionnaires", à savoir de tentative d'exil de protestants pourchassés.
Novembre est un mois de creux ; à part cela, la répartition dans l'année est relativement homogène.
Côté crimes, le vol tient le haut du podium (34% des cas), suivi de la complicité (23%) et des cas de violence (12%). Il va de soi qu'en "genrant" les statistiques, les femmes sont surreprésentées pour certains crimes : tout ce qui touche à la grossesse (289 cas, on parle de "suppression de part"), la prostitution ("maquerellage, fille publique"), les moeurs ("débauche", "vie scandaleuse") et la sorcellerie ("maléfices", "sortilèges", "superstition")... très cliché ! Un peu de poison mais l'écart proportionnel homme/femme n'est pas plus important que pour les affaires de "mariage". J'y ai mis tout ce qui touche à l'adultère, la bigamie, les faux en mariage...
Bien sûr on peut cumuler les crimes : le baron Jean-Georges de Groeben, 22 ans, est accusé de complicité d'adultère et complot d'assassinat (1718) ; Chrétien Michegault, prêtre curé de Lannes [Rolampont], est soupçonné deux ans plus tard de "inceste spirituel et libelle diffamatoire" ; ou encore en 1715, le soldat Valère Prodhon, 24 ans, comparait pour "rixe et meurtre, insultes et violences".
Quant aux peines... Question, bannissement, flétrissure au fer rouge, fouet, quand ce n'est pas un membre tranché, la pendaison ou le bûcher (là aussi, ça peut se cumuler).
- Jeanne Bourguignon, femme Colas, condamnée pour sacrilège le 20 juin 1716 : "amende honorable, poing coupé, brûlée vive, et autres peines pécuniaires portées par la sentence, étranglée avant que de mettre le feu au bûcher. Injonction au juge de juger suivant la rigueur des ordonnances".
- Philippe Basse et Bernard Mocmanesse, tous deux 18 ans, condamnés pour sodomie et blasphème le 20 mars 1729, "amende honorable" et brûlés vifs.
Evolution du nombre d'arrêts du Parlement de Paris entre 1700 et 1725
Répartition du nombre d'arrêts par mois
Motifs des condamnations
Peines prononcées par la chambre criminelle du Parlement de Paris
Pour aller plus loin
- Archives nationales, inventaire des arrêts criminels du Parlement de Paris (1700-1725) ; annexe explicative
- Parlement de Paris, parlement criminel (Plan d'orientation général des Archives nationales)
- Article Wikipédia sur le Parlement de Paris
- Bernard Cousin, "Les arrêts criminels du Parlement de Provence au XVIIIe siècle", consultable en ligne
- Jean Lecuir, "Criminalité et « moralité » : Montyon, statisticien du parlement de Paris", Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 21 N°3, Juillet-septembre 1974. pp. 445-493 ; consultable en ligne
- Dominique Muller, "Magistrats français et peine de mort au 18e siècle", Dix-huitième Siècle, n°4, 1972. pp. 79-107 ; consultable en ligne
- Garnot Benoît. Justice et société dans la France du 18e siècle. In: Dix-huitième Siècle, n°37, 2005 ; consultable en ligne
- Marc Vigie, "Justice et criminalité au XVIIIème siècle : le cas de la peine des galères", Histoire, économie et société, 1985, 4ᵉ année, n°3. pp. 345-368 ; consultable en ligne
- Alfred Soman, Yves-Marie Berce, "Les archives du Parlement dans l’histoire", Bibliothèque de l'école des chartes. 1995, tome 153, livraison 2. pp. 255-273 ; consultable en ligne
- Benoît Garnot, "Délits et châtiments en Anjou au XVIIIe siècle", Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 88, numéro 3, 1981. Criminalité et répression (XIVeXIXe siècles) pp. 283-304 ; consultable en ligne
- André Abbiateci, "Les incendiaires en France au XVIIIe siècle. Essai de typologie criminelle", Annales. Economies, sociétés, civilisations, 25ᵉ année, N. 1, 1970. pp. 229-248 ; consultable en ligne
- Jean Delumeau, Injures et blasphèmes, en partie en ligne
- Rétronews, Peines et châtiments sous l'Ancien Régime, consultable en ligne
- Bibliographie sur Criminocorpus
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