Ou comment et pourquoi faire des recherches généalogiques aux Archives nationales, même lorsqu'on n'a ni ancêtre fonctionnaire d'État, parisien ou VIP.
Ah, mettre en fiche la population pour mieux la surveiller... le rêve de la police, de la machine de Guillauté, aux fichiers papier ou bases de données aujourd'hui informatisées. Les multiples systèmes et expériences ont donné naissance des masses d'archives considérables et passionnantes (voire terrifiantes sur le principe...).
A l'ère du papier roi, le système le plus efficace pour gérer la masse, c'est la fiche cartonnée, synthétique, classée plutôt de manière alphabétique, qui renvoie à des dossiers plus ou moins volumineux, classés eux numériquement. Des milliers et des milliers de fiches qui constituent un fichier. Ces fiches renvoient à un ou plusieurs numéros de dossiers, classés eux numériquement (ce qui permet globalement de gérer l'accroissement du fichier).
Parmi les multiples fichiers conservés aux Archives nationales, celui de la Sûreté (ancien nom de la police) est fascinant, de par son contenu et à son histoire. Le fichier central fusionne en fait plusieurs fichiers de police préexistants : police administrative (passeport, carte identité), surveillance politique, contre-espionnage, interdits de séjour, naturalisés, ou encore des interdits de jeux ! Aux plus de 2 millions de fiches s'ajoutent 600 000 dossiers nominatifs, un vrai régal.
Comment chercher :
- consulter les répertoires alphabétiques qui donnent accès aux plus de 600 000 dossiers individuels, couvrant la période 1890-1940. Les répertoires sont numérisés et en ligne dans la Salle des inventaires virtuelle. L'ordre est semi-alphabétique (alphabétique sur les trois premières lettres du nom, en gardant dans un coin de la tête qu'ils ont été établis par les Russes (mais que viennent faire les Russes dans cette histoire ?!*) donc les certaines graphies sont regroupées, comme les V et W...
- enchaîner avec les dossiers de police administrative post 1940... dépourvue de leur outil de surveillance saisi par les autorités allemandes, la police a reconstitué sous Vichy des dossiers à partir de 1940, dossiers qui ont été alimentés jusqu'en 1949. Police administrative et tropisme de l'époque oblige, on y trouve beaucoup de chose sur les étrangers et les communistes. L'inventaire est en ligne, alphabétique, et permet d'identifier facilement la cote susceptible de contenir le dossier de la personne recherchée.
- pour consulter les dossiers plus "thématiques", consulter d'une part la fin de F/7 (état sommaire des versements) et ce qui a été restitué par la Russie (répertoire méthodique)
Et qu'y trouve-t-on ? Personnellement j'y ai découvert :
- un dossier pour Onésime Le Livec, mon arrière-arrière-grand-père qui a eu de jeunes années anarchistes. Il en a été question dans l'article Tout le monde n'a pas la chance d'avoir eu des ancêtres communistes
- un dossier pour Basile Kondratovitch (gendre du précédent, russe blanc émigré en France) qui a souhaité rejoindre son beau-frère (mon arrière-grand-père) et sa belle-soeur en Algérie, faute de travail dans les années 1930.
- un dossier pour Marcel Nikolaeff (autre gendre du premier, également russe blanc émigré en France) et son parcours pendant la Seconde Guerre mondiale.
Et je pense qu'il reste des individus à creuser !
* Je vous renvoie à la fabuleuse histoire de ces fonds d'archives, spoliés par les Allemands en 1940, récupérés (et exploités) par les Soviétiques en 1945, avant d'être finalement restitués entre 1994 et 2001 à la France... Lire notamment l'ouvrage de Sophie Coeuré cité plus bas..
Pour aller plus loin
- Archives nationales, fiche d'aide "Rechercher un dossier nominatif dans le fonds de Moscou"
- Eric Heilmann, "Comment surveiller la population à distance ? La machine de Guillauté et la naissance de la police moderne", consultable en ligne sur HAL, 2007.
- Criminocorpus, Le fichier central de la Sûreté nationale
- Sophie Coeuré, La Mémoire spoliée, les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, Paris, 2013.
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