"Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure".

Le terme (et la pratique sont) à la mode. Les noms d'oiseaux entre hommes politiques et citoyens font les choux gras des médiats et les invectives verbales fleurissent sur les vidéos en ligne et les T shirts imprimés. Dernière en date (après "Sarkozy, je te vois", et autres "Casse-toi **") : la convocation au tribunal d'une personne qui a traité un membre du gouvernement de menteuse. D'aucun diront "le respect se perd"..., "de mon temps...", "dame oui, les jeunes aujourd'hui...". La théorie d'une régression de la société actuelle a la peau dure.

Voyage dans le temps au cœur de ce XIXème siècle romantique, royaliste, policé, censuré et qui fleurait bon les bonnes mœurs (oserai-je rajouté "catholiques"). Voyage dans cet "avant" tant regretté, dans cet "C'était mieux avant..." (d'autant qu'on n'était pas là pour le voir). Le décor ? Un théâtre de province. On s'attend à un public sage, assis les genoux serrés, écoutant attentivement les acteurs. A la fin de la pièce, sous les applaudissements, un jeune homme amoureux transi déposerait délicatement une rose sur le bord de la scène, aux pieds de sa muse. Sans doute garderait-il sur son cœur quelques vers timidement griffonnés à la plume et qu'il n'osera jamais tendre à la damoiselle. En plein romantisme disai-je...

 

Le Théâtre municipal à Nantes au XIXe siècle

 

Et bien vous vous méprenez royalement (Charles, Louis ou Louis-Philippe, peu importe) !

Jets d'orange (sic), insultes, menaces envers les acteurs, tracts anonymes, huées, spectateurs ivres, sont monnaie courante ! Y compris d'ordre de politique ! Voici quelques extraits de lettres envoyées à la police nantaise (cotes I1 C53 D3 et 4, Archives municipales de Nantes).

"Un groupe de jeunes gens [s'est] permis de commettre les plus grandes indécences en jetant sur le théâtre des peaux d'oranges, en ricanant des rôles des acteurs". - 9 mars 1806

"J'ai été informé par la clameur publique que des jeunes gens avaient troublé le spectacle il y a deux ou trois jours et avaient forcé une Dame de cette ville à sortir de la salle". - 22 octobre 1808

"Plusieurs jeunes gens qui étaient derrière moi parlaient et causaient tellement haut que je fus forcé de le leur observer et leur ai dit qu'ils m'empêchaient d'entendre ; un d'eux répondit "Que nous veut ce bougre-là", à ce mot injurieux je l'ai traité de polisson. Il m'a prit au collet en me disant de sortir". - 12 décembre 1818

"Un groupe séditieux [...] s'est fait remarquer au parterre du grand théâtre le 4 de ce mois par l'insigne irrévérence envers son Altesse Monseigneur le duc d'Angoulême qui honoroit de sa présence le spectacle de ce dit jour". - 1818

"A l'endroit de la pièce intitulée la jeunesse d'Henry V, lorsque le capitaine Cook dit "Dieu sauve le Roi et la famille royale", deux ou trois sifflets sont partis du parterre, mais ils ont sur le champ été couverts par les applaudissements partis de toute la salle". - 25 mars 1822 (le maire au préfet).

"Monsieur le Comte d'Espinoy m'annonce que les officiers de la garnison qui se trouvaient au spectacle le 19 de ce mois, et qui ont été témoins de l'outrage manifeste dirigé par quelques individus contre le Roi et la famille royale à la représentation de la jeunesse d'Henri V, en ont été indigné". - 22 mai 1822 (le préfet au maire)

Et pourtant les oranges ne devaient pas être données en 1806 !

Pour plus d'informations sur le théâtre au XIXème siècle, je vous renvoie à l'exposition virtuelle réalisée par mes soins en ligne sur le site des Archives municipales de Nantes.

Source

  • Archives municipales de Nantes

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