C'était le deuxième effet "Ouest-Eclair numérisé et OCRisé" sur Gallica. Pour souvenir, le premier était d'avoir retrouvé, par presse interposée, mon ancêtre Onésime Le Livec en cour d'assises. Le deuxième effet a un tout petit truc en plus d'assez réjouissant : la probabilité de trouver cette information était infime.
Le Havre. 4 janvier.
Le sémaphore du Havre signale que le paquebot L'Atlantique, qui se rendait, sans passager, de Pauillac au Havre, a pris feu entre Cherbourg et Le Havre a été abandonné par l'équipage.
Une du Nouvelliste du Morbihan, 5 janvier 1933
Le paquebot L'Atlantique en feu à 20 milles à l'Ouest de Guernesey est abandonné par son équipage. Ce superbe navire, construit à Saint-Nazaire, était affecté à la ligne Bordeaux-Buenos-Aires, et se rendait au Havre, avec une partie seulement de son équipage, pour se faire caréner. Sur les 170 marins, 20 à 30 seraient disparus ; il y aurait, en outre, plusieurs blessés et malades.
Une du Phare de la Loire, 5 janvier 1933
Qui dit presse des années 1930, dit... photographies !
L'Atlantique, c'est le père du France (non je ne chanterai pas), sorti en 1930 des chantiers de Penhoët, second navire le plus puissant de la flotte marchande française après l'Ile-de-France. Un palais art déco flottant de 226 mètres, traversé par une "rue de la paix" de 140 mètres sur 5 bordée de magasins, avec son cours de tennis, et pouvant accueillir 1238 passagers. L'équipage est composé de 663 personnes. En 1933, il est commandé par le commandant Schoofs, anciennement sur le Massilia.
4 janvier 1933. Le feu se déclare dans une cabine de 1ère classe à 3h30 du matin. L'équipage n'arrive pas à maîtriser le départ d'incendie qui se propage rapidement à l'ensemble du compartiment 1ère classe par le biais du vernis des cloisons et des fils électriques.
A 6 heures, la sirène retentit pour signaler l'abandon du navire. Malheureusement un canot de sauvetage endommagé chavire. Certains, tentant de lutter contre l'incendie, sont restés bloqués dans les compartiments de chauffe. L'équipage est recueilli par le cargo allemand Ruhr, le cargo hollandais Achiles et le cargo anglais Ford-Castle. A 8 heures, le navire qui se consume est abandonné à 20 milles à l'Ouest de Guernesey.
L'épave qui dérive vers Portland est finalement remorquée en rade de Cherbourg le 7 janvier. Dès la veille, la presse commençait à communiquer les noms des rescapés. Et parmi eux, le chef linger, Onésime Le Livec. "Chef linger sur les paquebots", c'est ce que m'avait dit mon grand-père le premier jour où j'ai mis le doigt dans la généalogie.
Qui sait si Onésime ne figure pas sur les photos des rescapés qui couvrent les journaux...
Le naufrage occupe plusieurs jours les unes, car ce naufrage fait tout juste suite à celui du Georges Philippar. Ce dernier, lancé comme l'Atlantique en 1930 de Saint-Nazaire, était affrêté par la Compagnie des messageries maritimes sur les lignes de l'extrême orient, jusqu'à son incendie dans la nuit du 16 au 17 mai 1932 qui fit 90 victimes (dont Albert Londres). Deux fleurons de la marine marchande française qui flambent après à peine un an de service, causant la mort de nombreuses victimes, et faisant craindre le pire pour les autres navires. L'accident de l'Atlantique ne fait que renforcer la polémique sur la non publication du rapport d'enquête du naufrage du Georges Philippar et la question de la sécurité à bord de ces palaces de luxe.
Interview du ministre de la Marine marchande
Je puis d'ores et déjà affirmer que des mesures rassureront complètement le public et les passagers éventuels de nos paquebots. [...]
- Mais, monsieur le Ministre [de la marine marchande, Léon Meyer], [...], si ces mesures doivent rassurer le public, pourquoi n'a-t-on pas estimé devoir communiquer officiellement les conclusions de la commission d'enquête qui fut chargée d'établir la cause de l'incendie du Georges-Philippar ?
- Ces conclusions ne seront jamais communiquées, nous répond catégoriquement le ministre
[...]
- Cependant, monsieur le Ministre, insistons-nous, ce mystère jalousement gardé sur le rapport de la commission d'enquête autorise les pires suppositions.
- Ce rapport n'apprendrait rien au public. Qu'il lui suffise de savoir que la sauvegarde des passagers sera assurée jusqu'à la limite même des possibilités."Ouest-Eclair, édition de Nantes, 6 janvier 1933
Comme quoi, la langue de bois et le manque de transparence, ça ne date pas d'aujourd'hui...
Le paquebot s'avèrera irréparable et sera démoli en 1936. Quant à mon chef linger, je sais désormais dans quelle compagnie transatlantique il officiait (même si une première recherche auprès de French Lines a été infructueuse).
Voilà, c'était le dernier épisode des aventures d'Onésime. Dernier épisode... de la première saison. Car je ne doute pas qu'il y en aura une autre, d'autres découvertes, notamment du côté de l'inscription maritime, voire des archives policières.
En attendant, il est toujours possible de se refaire l'intégrale de la première saison.
Sources et liens
- Bibliothèque nationale de France : Ouest-Eclair, édition de Nantes - la plus disserte sur la question (Gallica)
- Médiathèque de Lorient : Le Nouvelliste du Morbihan
- Archives municipales de Nantes : Le Phare de la Loire
- Mairie de Tourlaville : Le naufrage de l'Atlantique raconté par Jean-Charles Arnault, 26 ans, qui travaillait sur le port de Cherbourg
- ADHEMAR : L'incendie de l'Atlantique en 1933
- Un Jullemier sur l'Atlantique en feu (page personnelle)
- Frenchlines : association pour la mise en valeur du patrimoine des compagnies maritimes françaises
- Youtube : montages vidéo d'images du palais flottant, du luxe... aux flammes
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